Une Eglise oubliée
Publié le 28 Janvier 2010
Une Eglise oubliée
(L’Eglise catholique de Constantine au temps de l’Algérie française)
En hommage à tous les prêtres qui ont consacré leur vie à la communauté catholique du diocèse de Constantine et d’Hippone et qui les ont suivis dans leur exil.
Mgr Paul Pinier
Léon D’Agon,Abbés Louis Attard , Bernard Blaquart, Raymond Bonnello, Abbé Bruel -René Charlier , Mgr Jean Chazelles - Henri Clerc - Raymond Clauzel , Jean Coulomme, Henri Conseil, Norbert Crispi, Antoine Cutajar, Joseph Curmi, Mgr Jean Delpy, Pierre Ducros, Jean Claude Duhoux, Lucien Eschbach, André Fébo, Hector La Ferla, Antoine Galéa, Roland Garofalo , Paul George, Gérard Giordano, André Grima , Emmanuel Grima, Henri Houche , Jean Ichansou, Jean Issert, Louis Jeanne, Henri Lacrampe, Marcel Lafont Léopold Landerer, Louis Laurent, Edouard Lauro, Mgr Lembo, Levray, Alfred Lidy, Auguste Malafosse, Joseph Malchair , Jean Maniglier, Paul Marchetti, Bernard Mestivier, Gabriel Moreau, Edouard Nicolas, Gilbert Nicolas, Henri Niglio, Marcel Pastor, Marcel-Eugène Payan, Henri Pépin, Norbert Poupeney, Lucien Pei Tronchi, Jean Marie Perrier, Jean Pincos,, Lino Polibio, Joseph Porta, Dominique Porta, Louis Puel, Joseph Robert, Valentin Salette, Marcel Santina, René Sidi , Alexandre Stouvenot, Roger de Sulauze, Robert Sultana, Sauveur Taormina, Paul Teuma , Marcel Thiriot, Robert Vachino, Robert Viala, Albert Weck…
Avertissement
Retracer l’histoire d’une Eglise disparue en même temps que la communauté des chrétiens qu’elle accompagnait, est une gageure. La mémoire est devenue défaillante et parfois infidèle et la documentation rare et dispersée quand elle n’a pas été détruite…
Pourtant, le silence qui couvre généralement cette période de l’Eglise d’Algérie au temps de la présence française semble révéler une gêne, comme si tout ce qui touchait l’Algérie française devenait suspect et tabou. jusque et y compris l’Eglise, ses œuvres et son clergé.
L’Eglise de l’Algérie Française, dont les diocèses furent administrés par évêques et cardinaux venus de la métropole, est devenue l’Eglise oubliée, celle que l’actuelle Eglise de France n’évoque jamais et dont elle semble avoir honte.
Malgré toutes ses imperfections, ses omissions, ses insuffisances, l’évocation de l’Eglise catholique de « notre « Algérie » m’est apparue nécessaire par simple devoir de reconnaissance et de justice.
Puissent ces quelques lignes susciter d’autres témoignages, d’autres souvenirs, d’autres hommages.
L’Eglise d’Algérie, ferment d’unité
De 1831 à 1846, l’Algérie française n’avait qu’un diocèse créé par une bulle du pape Grégoire XVI en date du 9 Août 1838.
C’est par une bulle du pape Pie IX en date du 25 juillet 1868 que fut créée la province ecclésiastique d’Alger avec un archevêque métropolitain à Alger et deux diocèses avec un évêque, à Oran et un à Constantine.
Le premier évêque de Constantine fut Mgr de Las Cases qui ouvrit, en 1869, le premier séminaire à Ste Hélène, quelques kilomètres du Kroubs qui sera remplacé par un autre séminaire au Faubourg Lamy lui-même fermé au moment de la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905. Un troisième séminaire construit grâce à la générosité des fidèles du diocèse fut inauguré le 27novembre 1918 au faubourg d’El kantara . Cette courte histoire des séminaires de Constantine illustre la vitalité de l’Eglise de ce diocèse
Des curés furent installés très tôt dans les paroisses des villes et villages d’Algérie. Ils venaient de France avant que se créent les séminaires d’où sortirent les premiers prêtres issus de l’immigration.
C’est autour d’eux que se rassemblèrent les chrétiens émigrés de divers pays : français, italiens, maltais ou allemands, différents et parfois rivaux, sans point commun , si ce n’est la misère et de la même soif d’un avenir meilleur. Les premiers colons de l’Algérie Française n’étaient pas naturellement prédestinés à former une communauté unie et se seraient sans doute enfermés dans des communautarismes hostiles sans le creuset d’unité que constituaient l’école de la République, l’armée de leur service militaire et l’Eglise catholique.
Mais ces pauvres gens qui parlaient le français, le patois auvergnat ou languedocien, le corse, le maltais l’espagnol, l’italien ou l’allemand, se retrouvaient au moins une fois par semaine pour la messe du dimanche La misère pouvait les rendre jaloux, la foi leur faisait découvrir qu’ils étaient faits de la même pâte. L’Eglise en Algérie, même si elle n’a pas été la seule, a sans doute été l’institution qui a le plus contribué à faire tomber les cloisons qui divisaient les communautés d’immigrants. Comme au Canada où les français expatriés et abandonnés avaient retrouvé leur unité dans la communion à une même foi dans une même église. Ils apprenaient à vivre ensemble, à se libérer de leur méfiance et de leurs préventions, à se sentir solidaires dans les épreuves de la faim, de la maladie, de la guerre et de l’insécurité des premières décennies et trouvaient une unité passagère dans le latin de leurs prières et le grégorien de leurs chants.
Des paroisses vivantes
Dans les paroisses du diocèse de Constantine la vie religieuse, intense. Elle rythmait la vie quotidienne des chrétiens. Les offices de la semaine étaient suivis par des groupes de fidèles assidus. Les messes dominicales rassemblaient la grande majorité des catholiques. Hormis pour quelques familles notoirement « laïques » et parfois anticléricales, les événements importants de la vie étaient consacrés par une cérémonie religieuse. Baptêmes, communions solennelles, mariages, enterrements. La « densité » de la pratique religieuse ne se mesurait pas seulement à la fréquentation des offices religieux mais à l’engagement des fidèles aux activités paroissiales liturgiques, éducatives, caritatives, associatives.
Toutes les activités déployées dans le cadre des paroisses n’étaient possibles que grâce au dynamisme et à la générosité des fidèles qui les animaient. Chaque paroisse organisait une kermesse annuelle et les produits mis en vente provenaient eux mêmes des dons des paroissiens.
La kermesse la plus célèbre était celle du séminaire de Constantine qui se transformait en une grande foire, le temps d’un week-end et qui attirait une foule considérable. Elle abondait les finances du petit et du grand séminaire qui vivaient essentiellement de la générosité diocésaine.
Les constructions de nombreuses églises, salles paroissiales, écoles et dispensaires furent financées principalement grâce aux dons mais aussi à la participation active et bénévole des fidèles.
Une présence auprès des pauvres
L’action du clergé, séculier et régulier comme des religieux et religieuses concerna non seulement la vie religieuse et spirituelle mais s’étendit dans les domaines de l’enseignement, des soins, de la vie sociale. Partout où un besoin se faisait sentir, se manifestait l’action de l’Eglise. Les associations caritatives de métropole étaient présentes dans les principales villes du Constantinois : Conférences de Saint Vincent de Paul, Action Catholique et Action catholique Féminine.
Dès les premières années de la Conquête de l’Algérie, on trouve des religieux et des prêtres dans des initiatives caritatives. Ainsi, l’abbé Landmann, ému par le nombre considérable d’orphelins dont les parents avaient été décimés par la maladie, créa et administra un orphelinat à Guelma.
Les hôpitaux de Constantine, de Bône, de Bougie, de Biskra font appel aux religieuses de la Doctrine Chrétienne, aux sœurs de Saint Vincent de Paul et aux sœurs blanches de Mgr Lavigerie pour assurer l’organisation des soins aux malades. A Sidi Mabrouk, près de Constantine, les religieuses de ND des Apôtres créeront une maternité dans les années 1950.
Sur la colline d’Hippone, près de Bône, les petites sœurs des pauvres accueillaient dans une égale sollicitude les personnes âgées les plus défavorisées allant quêter en ville pour entretenir leur maison de retraite.
A Constantine, des orphelinats (filles et garçons) étaient administrés par les religieuses de St Vincent de Paul alors que l’Institution du bon Pasteur à Sidi mabrouk accueillait des jeunes filles en difficulté.
A Guelma, dans les années 1950, les religieuses de N.D des Apôtres avaient ouvert un dispensaire qui survivra quelques années encore après l’Indépendance.
Une mission éducative
Au début de la colonisation, les paroisses s’implantaient en même temps que les villes et les villages. Des prêtres d’origine métropolitaine puis, issus de la population locale, assuraient les charges pastorales. Mais leur rôle ne se limitait pas aux fonctions religieuses. Les populations étrangères trouvaient auprès du clergé, les médiateurs qui leur étaient nécessaires tant auprès des services publics que des particuliers. Le curé était le conseiller, celui qui assurait les correspondances et les formalités administratives. Le prêtre catholique était partout où un besoin se manifestait
Les mouvements de jeunes se multipliaient toujours dans le cadre des paroisses : Louveteaux, Scouts de France, Jeannettes et guides, Cœurs vaillants et Ames vaillantes, patronages… Ces groupes catholiques de jeunes organisaient des colonies de vacances en Algérie ( Bessombourg, Bugeaud, Herbillon) ou en France ( Garin, Chilly, Venton, Habere- Lullin, Lus la Croix haute…) sous la conduite des abbés Grima ,Pépin, Lauro, Salette, Marchetti…
De nombreux corps professionnels trouvaient dans l’Eglise des lieux de réflexion et d’action apostolique( JOC, JAC, JEC) ou de véritables institutions de formation comme Le Mouvement familial rural longtemps animé et dirigé par Melle Thérèse Godet.
Dans le domaine de l’enseignement, l’Eglise avait créé de nombreux collèges et écoles
Dans les dernières années de l’Algérie Française, Mgr Léon Etienne Duval avait fondé l’Association « Charles de Foucauld » dont le but était « la création, l’entretien, le développement d’écoles, d’établissements d’enseignement libre, d’œuvres d’éducation populaire, de patronage, de colonies de vacances d’œuvres postscolaires de toute nature… »
L’appel à la générosité des fidèles rapportera à l’association 65.535.000 frs obtenus auprès de 565 donateurs
Une Eglise intégrée à la communauté française d’Algérie
Après les lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat, les biens de l’Eglise furent confisqués. Le séminaire de Constantine devient une école normale d’instituteurs. Cet épisode n’a pas affaibli l’attachement du clergé pour la mère patrie. J’ai le souvenir très vivant d’un drapeau français dans le chœur de l’Eglise de Guelma… Les guerres de 1914/18 et de 1939/45 lui donnèrent l’occasion de prouver son patriotisme. Les prêtres et les séminaristes du diocèse furent présents sur les fronts de Tunisie, d’Italie, France, d’Allemagne et d’ailleurs; Certains y laisseront la vie
La forte présence de communautés religieuses démontrait à l’évidence les liens étroits qui se tissaient entre les catholiques et leur église. Prêtres, religieux et religieuses exerçaient leur ministère essentiellement auprès des catholiques à l’exception des Pères Blancs et des Sœurs Blanches dont l’activité était consacrée aux soins et à l’éducation des musulmans du Sahara ou des régions montagneuses de la Kabylie.
C’est sans doute dans les rapports que le clergé séculier entretenait avec leurs fidèles que la « symbiose » s’est le plus affirmée.
Au début de la présence française en Algérie, les évêques et les prêtres diocésains venaient de France. Les évêques furent d’ailleurs toujours choisis dans le clergé métropolitain
La création du Séminaire de Constantine en 1869 vit apparaitre un clergé issu de la communauté chrétienne du département de Constantine. Des prêtres venus de France et de pays européens (Belgique, Malte, Italie) s’associèrent au clergé local pour une expérience pastorale temporaire, la majorité, définitivement. Le séminaire de Constantine accueillait régulièrement des séminaristes français ou étrangers qui furent ordonnés et « incardinés » au diocèse.
Par leur présence aux milieux des fidèles de leurs paroisses, par leur origine locale pour beaucoup, par le partage de la même culture, des mêmes coutumes, du même accent, du même attachement aux traditions, par leur dévouement exemplaire, les prêtes du clergé diocésain s’étaient faits » pieds-noirs parmi les pieds noirs » Aimés et estimés, ils jouissaient d’une autorité morale et spirituelle qui débordait largement la communauté catholique.
Aux deux soulèvements de 1945 et de 1958, des prêtres partagèrent par le sang le sort des victimes .[2] On peut comprendre aussi que la plupart de ces prêtres ne se reconnurent pas dans les prises de positions des émeutiers et témoignèrent pas leur martyr leur union au destin de leur communauté.
Jusqu’aux dernières heures de l’Algérie française, les prêtres diocésains manifestèrent, de façon . exemplaire et parfois par le sang, leur solidarité aux chrétiens d’Algérie dans le drame et dans l’exil.
Quand l’Algérie fut secouée par les attentats terroristes du FLN, ces prêtres ne se reconnurent pas dans les prises de positions de certains journaux français dont La Croix et Témoignage Chrétien comme le scandale provoqué par les prêtres de la Mission de France, à qui Mgr Léon Etienne Duval avait confié la paroisse de Souk-Ahras et qui furent convaincus de collaboration avec les fellaghas… Le malaise sera encore aggravé par l’attitude pour le moins maladroite de l’archevêque d’Alger qui ne sut pas manifester, sa peine, sa solidarité et sa compassion aux chrétiens dont il était le pasteur au pire moment de leur histoire. C’est sans doute dans ces circonstances que la solidarité du clergé avec la communauté catholique du diocèse de Constantine se manifesta dans un engagement sans équivoque.
, Après avoir partagé le pain quotidien de leurs joies et de leurs peines, les prêtres du diocèse de Constantine ont fini par partager le déchirement de l’exil de leurs paroissiens. Les mêmes bateaux les ont emportés vers une France qui les a accueillis sans chaleur. A l’un de ces prêtres qui lui demandait de l’accueillir, un évêque du sud de la France eut cette réponse humiliante : « Je veux bien vous affecter dans une paroisse mais je ne pourrai jamais vous nommer curé, les paroissiens ne l’accepteraient pas »
Jusque dans l’indifférence, voire l’hostilité de certains de leurs confrères, les prêtres du diocèse de Constantine ont partagé jusqu’au bout le sort du peuple que Dieu leur avait confié. Déracinés, beaucoup sont demeurés rattachés à leur diocèse en conservant leur incardination d’origine. D’autres, plus jeunes, se sont « reconvertis » dans l’aumônerie militaire, la plupart se dispersèrent aux quatre coins de France, quelques uns enfin quittèrent les ordres.
Certains prêtres âgés terminèrent leur vie dans une douloureuse solitude.
Quelques prêtres demeurèrent dans leur diocèse, la plupart pour quelques années seulement, un seul l’abbé Payan, jusqu’aux derniers jours de sa vie.
L’Eglise du diocèse de Constantine et d’Hippone avait vécu un siècle et demi.
La présence d’un évêque et d’une poignée de prêtres sur une terre qui ne comptait plus de chrétiens n’empêcha pas la sécularisation des églises et la nationalisation des écoles et des biens de l’Eglise. La plupart des Eglises furent transformées en mosquées, d’autres furent rasées ou affectées à des usages profanes. L’Eglise de Saint Augustin disparaissait une nouvelle fois dans les sables de l’Histoire mais l’Histoire ne retiendra sans doute pas l’extraordinaire vitalité d’une Eglise qui s’identifia au peuple dont elle avait la charge et contribua de façon décisive à son unité
Témoignage d’affection et de gratitude
L’Eglise catholique manifeste habituellement une particulière affection à l’égard de ses communautés persécutées. L’Eglise d’Algérie a subi la persécution de l’indifférence et de l’injustice.
L’Histoire ne retiendra paradoxalement de la présence chrétienne en Algérie pendant 150 ans que le souvenir de Mgr Duval, archevêque et cardinal d’un diocèse sans prêtres et sans chrétiens. Elle oubliera cent cinquante ans de vie spirituelle, apostolique, caritative, sociale. Elle oubliera l’œuvre exemplaire éducative et civilisatrice de ces prêtres, religieux et religieuses, toutes origines confondues qui, dans les séminaires, les collèges, les hôpitaux, les dispensaires, les paroisses donnèrent le meilleur d’eux mêmes, de leur culture et de leur foi.
Je mesure l’indigence de cette évocation, son caractère incomplet, ses inexactitudes peut-être, ses insuffisances sans doute. J’ai conscience du caractère tardif de ce témoignage alors que la plupart des prêtres, religieux et religieuses que nous avons connus sont morts et ne sauront pas le rôle essentiel qu’ils ont joué dans nos vies et combien nous les avons aimés. Mais plus encore et par-dessus tout, j’ai répondu à un besoin irrépressible de rendre témoignage à une Eglise oubliée, calomniée, abandonnée qui a nourri des générations de sa culture, de sa foi et de son ardente charité et à qui, une fois, une fois au moins, un témoigne de gratitude aura été rendu.
Guy Bezzina
guybezzina@wanadoo.fr