9 mai 1945 - Lettre au Point.
Publié le 28 Janvier 2010
Grasse, le 16 juin 2008
Charles Badi & Guy Bezzina
à
Monsieur le rédacteur en chef du POINT
74, avenue du Maine,
75682 – PARIS – Cedex 14
Monsieur le Rédacteur en chef.
L’article sur le 8 mai 1945 à Guelma de Monsieur François Malye, paru dans votre numéro du 22 mai 2008 nous contraint de vous faire part d’un autre point de vue que ceux recueillis auprès des algériens de Guelma.
Le 9 mai 1945, nous avions onze ans à GUELMA, en Algérie.
Ce jour-là, seize français de la région ont été assassinés à coups de hache ou de baïonnette, des femmes ont été violées et égorgées.
Ce jour là, parce que nos cousins ou nos amis en âge de porter les armes étaient partis « mourir pour la Patrie » en Italie, en Provence, en Alsace ou en Allemagne, il ne restait que quelques gendarmes et agents de police pour défendre la ville assiégée. Nos parents et nos oncles dont d’anciens de 14/18, ont été requis par le Sous Préfet pour nous protéger. Leur mémoire et leurs mains n’ont jamais été entachées d’aucun crime; leur courage nous a sauvés.
Sans eux et quelques autres, les victimes françaises auraient été bien plus nombreuses.
Aussi, vous comprendrez notre étonnement de lire la relation de ce drame au seul travers des témoignages d’algériens de Guelma sans qu’à aucun moment n’apparaisse celui d’européens présents dans la ville à cette époque.
Le souci de l’exactitude et de la vérité, inhérent à la profession de journaliste, nous semblait exiger une telle confrontation de témoignages.
Nous avons donc relevé au hasard de notre lecture un certain nombre d’inexactitudes et de procès d’intention que nous nous permettons de vous signaler.
Dans la relation des événements faite par Monsieur Malye et le portrait qu’il trace de nos compatriotes, nous peinons à trouver la distance et la mesure qui donneraient de la crédibilité à son récit.
Il semble avoir réuni tous les ingrédients pour évoquer soit l’apartheid (les trottoirs réservés aux européens…) soit le nazisme (« la milice », « le four à chaux », « les vichystes » …)
Dans un amalgame spécieux, les hommes réquisitionnés par le Sous préfet pour défendre la ville sont tous associés aux exécutions des musulmans alors que de l’aveu même d’une journaliste qui enquêtait sur le même sujet récemment, les responsables civils de ces pratiques arbitraires étaient moins d’une dizaine. Rien n’est dit en revanche sur le rôle des régiments de tirailleurs sénégalais et de tabors marocains dans la répression qui suivit.
Votre journaliste abuse des généralisations sans discernement… (Page 86 – 1ère colonne) « Tous les européens étaient des vichystes ». On ne voit pas d’ailleurs en quoi cet engagement politique supposé peut concerner les événements du 8 mai puisque le sous-préfet qui est un authentique gaulliste se trouve à leur tête…
On prête allègrement aux protagonistes des propos sans le début d’une preuve :
Le Préfet Lestrade aurait dit (page 86 – 2è colonne) « Quelles que soient les sottises que vous commettrez, je vous couvrirai. Messieurs vengez vous »… Nous vous laissons le soin de mesurer la vraisemblance de ces propos de la part d’un membre de la haute fonction publique de l’Etat dont on connaît le devoir de réserve, la prudence et la mesure habituels.
Votre journaliste rapporte (page 86- 1ère colonne) que selon un avocat de Guelma « Sur les boulevards, un trottoir était réservé aux musulmans, l’autre aux européens ». Nous pourrions retrouver des photos qui s’inscrivent en faux contre cette affirmation, mais plus surement encore, il suffit d’examiner les photos de classes de l’époque pour constater que les petits musulmans et les petits européens fréquentaient les mêmes écoles sous l’autorité des mêmes maitres, européens ou musulmans.… On pourra s’étonner que des européens qui n’auraient pas toléré de partager le même trottoir aient pu se satisfaire de voir leurs enfants partager les mêmes bancs d’école…
« La jalousie n’est pas la seule motivation des européens » est-il écrit page 86. La haine et la colère, on pourrait le comprendre à la suite des atrocités commises sur des européens (massacres à la hache, viols …) mais la jalousie ? Qu’avaient donc les musulmans de si particulier que des européens aient pu leur envier au point de les tuer ? S’il y avait un sentiment de jalousie et d’envie, n’était-il pas plutôt le fait de ceux qui pillèrent les fermes des colons assassinés ?
Monsieur Malye présente, (page 85 – bas de la 3e colonne) « Guelma, comme une ville paisible » et, à la page suivante il se contredit en avançant que « La communauté (européenne de Guelma) vit la peur au ventre… » Mais où a-t-il été cherché ça ? Enfants, nous allons tous à l’école sans jamais être accompagnés ; nos parents allaient à leurs affaires dans les endroits les plus reculés du bled sans l’ombre d’une inquiétude, de jour comme de nuit. Beaucoup d’agriculteurs vivaient sans inquiétude dans les fermes avec femmes et enfants. S’ils avaient vécu « la peur au ventre », beaucoup d’entre eux auraient quitté leur ferme avant de se faire massacrer.
Page 86 1ere colonne on peut lire « Son corps ( de Monsieur REGGUI) reste de longues heures exposé dans la rue, à la frontière des quartier musulman et européen » Le fait aurait semblé effectivement relever d’un mauvais western s’il n’avait pas été également inventé.
Page 86 3e colonne, l’auteur de l’article parait bien informé de l’identité des responsables civils de la répression au point d’évoquer pèle mêle : « commerçants cheminots, employés, policiers, gendarmes, médecins et élus de la ville » auxquels il ajoute, pour faire bonne mesure « les colons qui ont déserté la région ». A-t-il les preuves de ce qu’il avance ou ne fait-il que rapporter ce que lui ont dit ses informateurs algériens ?
Il omet de parler de la part prise par les algériens eux-mêmes contre leurs adversaires politiques dans cette répression… Monsieur Jean Pierre Peyroulou écrit ( Hommes et Libertés n°131 – juillet-septembre 2005) à ce sujet : « S’y sont ajoutés ( à la répression) le rôle d’ un notable algérien qui en profité pour éliminé ses adversaires politiques… »
Il ne semble d’ailleurs pas particulièrement préoccupé par la précision des faits et des dates puisque qu’il affirme à quelques pages d’intervalle que « les exactions dureront près de deux mois » (page 85 1ère colonne dernier paragraphe) alors que (page 88), il écrit « les meurtres continuent à Guelma pendant près d’un mois ». Un mois de plus ou de moins…
Monsieur Malye avance que « les autorités (de l’Etat) qui voudraient faire cesser (les exécutions) ne peuvent plus se rendre dans la ville, leur sécurité n’étant pas assurée » (page 88) … à l’exception sans doute du Préfet de Constantine, Lestrade Carbonnel et du Général Duval qui s’y étaient rendus dès le lendemain (page 86 – 2e colonne)…
Et à qui peut-il faire croire qu’une ville de 4.500 habitants composée majoritairement de femmes, d’enfants et de personnes âgées et dont la plupart des hommes jeunes sont absents, partis défendre la France, occupée par des régiments de tirailleurs sénégalais et de tabors marocains arrivés en renfort, administrée par un Sous-préfet de la République, qui dispose d’une gendarmerie, d’un commissariat de police, d’une caserne de garnison et d’un Tribunal ait pu intimider des autorités dignes de ce nom ?
Page 88 l’article parle d’une déposition de Monsieur Achiary au Préfet Papon de Constantine, en 1946… Monsieur Maurice Papon, n’était pas Préfet de Constantine en 1946..
Mais le comble du cynisme a été atteint par cette phrase tellement significative du racisme latent des informateurs algériens de votre reporter, racisme qu’il reprend à son compte avec une imprudente complaisance…
« Majoritairement d’origine maltaise ou italienne, comme tous les fraichement naturalisés, ils sont prompts à la surenchère nationaliste »
Les « fraichement naturalisés » n’existaient pas car, bien que nés de parents maltais ou italiens, tous étaient français par leur naissance en Algérie.
D’autres communautés européennes vivaient à Guelma d’origine française (corse, savoyarde, auvergnate, anciens communards de Paris) ou d’origine étrangère (allemands, israélites entre autres) et tous participèrent à la défense de la ville… alors pourquoi faire une exception infamante pour les descendants d’italiens ou de maltais ?
Et que veut dire cette phrase sinon que ceux qui se sont rendus coupables des abus dénoncés étaient majoritairement ceux issus de parents maltais ou italiens ? La gravité de cette assertion fait un devoir à votre journal de prouver ce qui y est écrit . Elle ne peut constituer l’unique point de vue des informateurs algériens de votre envoyé, car nous supposons que des investigations ont été réalisées pour vérifier l’exactitude de ces allégations.
Cette accusation gratuite et offensante s’apparente étrangement aux propos racistes les plus détestables et englobe deux communautés dans une accusation grave et sans fondement, en raison de leur seule origine.
Nous estimons qu’elle est susceptible de poursuites judiciaires.
Permettez nous enfin de nous étonner de cette sinistre photo prise au cours de la bataille d’Alger, 12 ans après les événements de Sétif et Guelma qui clôt l’article et qui procède d’une volonté manifeste d’amalgame, alors qu’il vous aurait été possible dans un souci d’équité de publier également des photos témoignant les tortures et mutilations commises par les algériens.
Nous sommes étonnés que votre journal ait attendu si longtemps pour vous émouvoir sélectivement de ce drame, 68 ans après et qu’il ait osé lancer des insinuations calomnieuses sur nombre de justes qui ne sont plus là pour répondre. Au moins, votre journaliste aurait-il pu tempérer ses propos en s’informant à d’autres sources pour éviter les erreurs et les rumeurs infondées qui lui ont été soufflées et qu’il rapporte complaisamment et sans jugement critique.
Tout ce qui est excessif est sans valeur… Manifestement l’article de votre journaliste est excessif, tendancieux, souvent approximatif et pour tout dire peu conforme à l’éthique de cette profession.
Issus tous les deux de ces communautés italienne et maltaise, vilipendées par votre journaliste, nous vous prions de recevoir, Monsieur le Rédacteur en Chef, nos salutations distinguées.
Charles Badi
7, allée des amandiers
13770 – VENELLES
Guy Bezzina
10, avenue Fouques
06130 - GRASSE