Les maltais à Guelma

Publié le 21 Mars 2010

Les Maltais

 

 

Les textes tirés des archives qui ont permis de reconstituer l’histoire de Guelma, de la conquête à la fin du 19e siècle ne parlent des maltais qu’en trois occasions seulement, et pour donner de ces étrangers une image assez peu flatteuse. 

La première fois, un officier déplore leur lâcheté lors des attaques des arabes. La seconde fois, un journaliste dénonce une fraude à l’absinthe par la teinture de l’alcool avec le vert de gris de pièces de cuivre. La troisième fois la chronique locale dénonce leur esprit d’entreprise qui consistait à parcourir les campagnes pour acheter le gibier et le revendre en ville en s’octroyant un monopole de fait de ce commerce.

Au cours de la première moitié de la présence française à Guelma, cette communauté ne fait  parler d’elle qu’en des circonstances épisodiques alors qu’elle constitue manifestement un groupe important de la population européenne de cette ville. Il en est de même des juifs, des italiens et des autres « étrangers » dont les descendants  constitueront pourtant la majorité de la population française de Guelma dans la première moitié du XXé siècle jusqu’à l’exode de 1962.

Que déduire de ces constatations?

La première conclusion est évidente. Les maltais, comme les autres étrangers ne jouissaient pas  de la considération accordée par l ‘administration, les journalistes et l’armée à la population française. Leur statut d’étrangers, leur condition modeste, l’ignorance de la langue française les tenaient éloignés des fonctions d’autorité, des postes de responsabilité et des mandats électifs qui étaient indispensables pour jouer un rôle dans la vie sociale et politique de la ville. Ils ne pouvaient, dès lors, susciter aucun intérêt dans l’opinion, sauf à l’occasion d’incidents particuliers où leur statut d’étrangers donnait une explication suffisante aux délits dont ils pouvaient se rendre coupables.

Il n’est pas facile de dater la présence des premiers maltais à Guelma. On sait pourtant qu’il y avait  20 maltais en 1843, 47 en 1844, 60 en 1845 et 57 en 1846.

L’île de Malte était la terre européenne sans doute l’une des plus proches du Maghreb oriental ; il était vraisemblable que les relations commerciales avec l’Algérie et surtout la Tunisie ne cessèrent jamais complètement. Aussi, quand le drapeau fleurdelisé fut hissé sur la Casbah d’Alger, le 5 juillet 1830, les maltais ne cachèrent pas leur joie contrairement  aux anglais qui occupaient Malte depuis 1802.

L’île connaît depuis toujours une pauvreté endémique et une surpopulation qui contraint les habitants à l’exil ou à la pratique du commerce et de la pêche sur les côtes africaines. Aussi, quand s’ouvre la perspective de « faire fortune » sur des terres relativement proches, de nombreux maltais franchissent les quelques dizaines kilomètres qui les séparent des côtes africaines et tentent leur chance en  commerçant avec les troupes françaises et les premiers colons. Ils trouvent aussi un moyen original de gagner leur vie en assurant le transit des vaisseaux qui ne pouvaient  accoster, faute de ports aménagés, entre la haute mer et la terre. Cette émigration n’inquiète pas les anglais qui espèrent que la présence de sujets britanniques sur la terre algérienne pourrait leur servir le cas échéant. Les français, sans manifester beaucoup de considération et d’affinité pour ces étrangers, les laissèrent entrer sans difficulté pensant que c’était autant d’européens utiles à la mise en valeur des terres et à la colonisation. L’histoire prouva que leur calcul était judicieux. Lorsqu’en 1834, Louis Philippe décide de conserver l’Algérie, les anglais ne peuvent plus endiguer l’émigration des maltais vers l’Afrique. Beaucoup arrivent en Algérie sur leurs propres bateaux de pêche des îles de Malte et de Gozo.

En 1888, une loi réserve aux seuls citoyens français le droit de pêche sur les côtes algériennes. Certains pécheurs étrangers, principalement italiens et maltais, refluent vers les côtes tunisiennes, à Tabarka notamment. D’autres, déjà implantés en Algérie, demandent la nationalité française.

Il est particulièrement vraisemblable que les nouveaux immigrants maltais conservèrent des relations suivies avec leurs parents restés dans l’île et que beaucoup, à l’image de ce qui se passe actuellement avec les travailleurs maghrébins en France, retournèrent périodiquement à Malte.

Avantagés par leur langue, proche de l’arabe, les premiers maltais sont surtout commerçants. C’est ainsi que leur présence à Guelma, avant 1850, s’explique vraisemblablement, par la pratique du commerce. Pourtant, les témoignages recueillis donnent une autre explication complémentaire de cette présence des maltais à Guelma dès 1843. Les maltais, malgré le peu de considération qu’on leur accordait,  jouissaient d’une solide réputation de travailleurs, sobres et résistants. Habitués à la culture du sol maltais aride et ingrat, et aux aléas du climat méditerranéen, ils se révélèrent rapidement comme des ouvriers agricoles compétents et efficaces pour aider utilement les premiers colons concessionnaires de lots de colonisation. On peut penser que, contrairement aux colons français, les premiers travailleurs maltais arrivèrent à Guelma sans leur famille et purent de ce fait mieux s’adapter aux conditions  difficiles et souvent décourageantes de la vie des premiers pionniers. On sait que l’attribution de concessions et la disposition d’outils, de bétail, de semence étaient réservées aux colons français. Les témoignages sur ce point sont concordants.  On peut donc en déduire que les maltais arrivant à Guelma, quand ils ne s’adonnaient pas au commerce, se louaient comme ouvriers agricoles et que leur sens légendaire de l’économie leur permit d’acquérir, par le travail et la privation, l’argent nécessaire à l’achat de leurs terres. Ces terres furent en majeure partie gagnées sur les friches.

Il est clair que, au début de la colonisation, la très grande majorité des colons étaient d’origine française, alors qu’au moment de l’exil de 1962, le nombre d’agriculteurs français d’origine maltaise devait être au moins égal à celui des agriculteurs d’autres origines.

Les textes qui relatent les difficultés de la colonisation de la région de Guelma par les premiers colons venus de Paris ou des provinces françaises fait état de nombreux abandons consécutifs à la maladie ou aux échecs d’une agriculture soumise à trop d’aléas. Il est donc vraisemblable, que les agriculteurs maltais rachetèrent un certains nombre de terres et de fermes de familles françaises qui abandonnèrent l’agriculture et dont certaines retournèrent dans leur province d’origine.

Tous cependant ne furent pas agriculteurs et on en compta un certain nombre de commerçants, d’employés ou d’ouvriers maltais dans les entreprises privées ou publics, Chemins de Fer de l’Algérie, par exemple.

A Guelma, les familles maltaises vécurent longtemps dans un monde à part, se repliant sur leur communauté pour se protéger de l’espèce d’ostracisme dont ils étaient l’objet mais aussi en raison de la distance qu’ils mettaient eux-mêmes avec ceux qui ne partageaient pas  leurs « valeurs » comme on ne disait pas à l’époque.

La « colonie maltaise de Guelma » se constitua vraisemblablement par arrivées successives de frères ou de cousins de quelques audacieux qui s’installèrent les premiers. C’est ainsi que peut s’expliquer  que beaucoup étaient originaires du même village maltais et que nombre de ceux qui firent souche à Guelma étaient liés entre eux par des liens familiaux proches ou lointains.  Ces liens se renforcèrent encore par des mariages contractés au sein de la communauté dans un souci jaloux de sauvegarder les traditions ancestrales comme en raison des difficultés que ces étrangers rencontraient à se faire admettre dans d’autres milieux que les leurs.

... Le XXe siècle était déjà bien entamé, deux guerres avaient donné aux maltais devenus français l’occasion de prouver leur loyauté et de légitimer leur nouvelle citoyenneté.

Catholiques fervents ils se méfiaient de ceux qui affichaient un athéisme ou un anticléricalisme trop militant. Les colons chassés par la Commune de Paris et plus tard, les fonctionnaires en poste au moment des lois « Combe » ne pouvaient, à leurs yeux qu’être suspects... Par ailleurs, cette imprégnation de la foi catholique eut une influence sur la démographie de l’immigration maltaise qui, comme dans tous les pays catholiques pauvres (Canada français, Irlande...) se traduisit par des familles nombreuses. Aussi, dans les premières générations d’immigrants maltais, l’école ne put jouer le rôle intégrateur qu’on lui connaît pour la raison élémentaire que, les petits maltais, contraints à partager les travaux de la ferme dès la plus petite enfance, n’allaient en classe que pour autant qu’ils n’étaient plus indispensables... autant dire presque jamais ! C’est vraisemblablement la barrière de la langue qui constituera le frein le plus fort à une intégration rapide des maltais dans la communauté française.

Dans la première moitié du XX e siècle, les prêtres maltais, les Pères de saint Augustin, originaires d’un couvent de l’île de Gozzo, venaient régulièrement prêcher des retraites en langue maltaise et écouter en confession nombre de maltais incapable de comprendre ou de parler le français. Les maltais de Bône avaient, eux plus de chance. La basilique St Augustin sur la colline d’Hippone était administrée par une communauté de ces mêmes pères augustins et bénéficiaient d’une assistance spirituelle permanente.

Peuple de pauvres et d’illettrés, les maltais ne laissèrent pratiquement aucune trace de leur histoire à Guelma et les hypothèses qui sont avancées ici sont déduites de traditions orales ou de souvenirs épars de ceux dont la mémoire est restée fidèle.

Progressivement, cette communauté s’assimila à l’ensemble de la population. La naturalisation générale de tous les étrangers nés en Algérie, la pratique courante de la langue et de l’écriture françaises, le service militaire et la participation aux deux guerres mondiales constituèrent autant d’éléments d’intégration qui se traduisirent par une association active à la vie sociale et politique de Guelma. Les alliances débordèrent le cercle restreint de la communauté. Les maltais de la deuxième et troisième génération donnèrent la preuve de leur patriotisme et de leur attachement à l’Algérie française... même si, à l’image des arméniens, beaucoup conservèrent  pour la patrie de leurs ancêtres un attachement qui ne s’est pas atténué chez les descendants de la quatrième génération.

Rédigé par Guy Bezzina

Publié dans #Une mémoire et une histoire

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C
<br /> Je suis tombée par hasard sur votre blog,et je le trouve trés utile et régorge d'infos intéressantes!!J'espère de lire la suite!!<br /> <br /> <br />
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