L'école d'Alembert

Publié le 14 Mars 2011

 

 



 



L’école d’Alembert



 

L’école d’Alembert dressait sa bâtisse forteresse entre la ville et les quartiers à bon marché qui alignaient leur modestes pavillons avant que furent inventés les « lotissements » où les habitants ne sont pas aussi bien lotis d’ailleurs...

Passées les années de la maternelle dans la petite école que dirigeait Mademoiselle Jayot, les choses sérieuses commençaient avec la « Grande Ecole » où l’on entrait d’abord au cours préparatoire.

Les grandes vacances duraient officiellement du mois de juillet aux premiers jours d’octobre. En fait, dès les premières chaleurs du mois de juin, les assiduités se relâchaient et les cours de l’après-midi se transformaient en garderies où maîtres  et élèves pratiquaient le libre service de leurs activités et de leur emploi du temps.

Mais les grandes vacances se terminaient toujours mal et les derniers jours de
septembre, la Librairie Papeterie Imprimerie Groussaud sortait de sa sérénité
habituelle pour s’animer d’enfants porteurs de listes de livres et de
fournitures scolaires. C’était aussi l’époque où se pratiquait une marché
parallèle des livres d’occasion dont le produit n’était pas toujours
intégralement réinvesti dans des fournitures utiles.



Les parents ressortaient les pantalons et les tabliers devenus inexorablement trop petits et qui, tout inexorablement servaient aux frères plus petits. Malheur à celui qui était le dernier de la famille, il héritait vêtements et des souliers
qui avaient déjà servi à ses frères aînés...

Monsieur Oufrani, Madame Faletti et d’autres recevaient  de France tabliers tout neufs, les chaussures montantes et cloutées, les bérets qui sentaient fort une odeur d’apprêt, de cuir et de naphtaline annonciateur du crépuscule de nos libertés champêtres.

Le premier jour de classe nous étions réveillés par le claquement des « cab-cab » des petites mouquères qui descendaient des quartiers arabes et allaient à l’école indigène de jeunes filles  dirigée par Madame Betche. Comme nous elles avaient sorti leurs plus beaux habits et étaient descendu très
tôt . Pour nous, le premier jour de l’école était un jour d’angoisse mêlé d’une
impatiente curiosité sur les nouveautés que nous allions découvrir: Le nouveau maître ou la nouvelle maîtresse, les nouveaux condisciples, la nouvelle classe...
Les plus petits, ceux qui entraient au cours préparatoire étaient accompagnés
de leur mère. Pour beaucoup, c’était la première rupture du cordon ombilical.
Les crèches n’existaient pas, beaucoup de femmes restaient à la maison et les
enfants avaient passé leurs premières années dans une proximité maternelle et rassurante. Aussi, quand la porte s’ouvraient et que le flot hurlant s’était engouffré dans la porte d’entrée, ils gravissaient les quelques marches qui les
conduisaient à la cour intérieure, l’angoisse au ventre...

La maîtresse du cours préparatoire s’appelait Madame Poggi. Elle était réservée. Regroupés sous les ficus, ils attendaient l’appel de leur nom et se détachaient, un à un pour entrer dans le rang, à leur place. Sans le savoir, il entraient pour la première fois dans l’ordre des règles collectives: l’école, le collège, le régiment... Déjà les personnalités se manifestaient: Les ambitieux qui tentaient de gagner le premier rang, les angoissés qui tordaient leur bérets, les sentimentaux qui lançaient des regards humides et désespérés, les soumis qui croisaient déjà les bras et les révoltés qui se débattaient pour tenter une ultime et impossible évasion.  

Etait-ce en 1940 ou 1941 ? Cette année là nous nous retrouvions réunis pour un parcours qui nous conduiraient jusqu’aux portes du Lycée.

Il y avait : Jacky Télouk, Claude Croce, Fernand Maraval, Marchisio, Favresse, Guy Sabarros, Guy Zuretti dit Guichon, Jean Bockler, Charley Badi, Jean Missud, Georges Saphar, Daoud Tisgagine, Hahn, Vidal, Poggi, Italiana...
Etranges destins des uns et des autres, fin dramatique de Fernand Maraval mort à 18 ans dans un accident de montagne, de Roger Sabarros, tué par l’explosion d’un grenade à Bône, dans un bus qu’il était chargé de protéger...




menteur comme d'autres naissent bossus. Il avait honte de ses mensonges aussi
gros que des bosses et aussi difficile à cacher...mais le mensonge c'est
souvent la seule défense des faibles.



Dans
le monde qu'il découvrait, il aurait aimé être aimé. Il aurait bien voulu jouer
les rôles qui lui auraient valu l'estime et l'affection dont il avait grand
faim... mais il n'en avait pas la compétence. Il aurait fallu être intelligent,
habile à la calligraphie et doué d'une bonne mémoire pour être distingué des
instituteurs. Il aurait fallu être courageux, aimer la bagarre et le
commandement pour mériter l'admiration des copains. Il aurait fallu être un
vrai louveteau et prendre plaisir aux parties de foulard et aux feux de camp
dans la nuit froide; Il aurait fallu courir vite et faire gagner la sizaine
pour éviter les sarcasmes de la cheftaine. Il aurait fallu aimer la soupe du
soir, se classer dans les dix premiers et rapporter des tableaux d'honneur. Il
aurait fallu avoir du caractère et ne pas implorer grâce, lâchement, aux
premières menaces de punition de l'institutrice.



Il
aurait fallu faire partie de cette race 
de gosses turbulents et espiègles qui font le désespoir des parents et
forcent leur admiration...  Lui, n'était
pas admirable.



Ce
n'était qu'un petit menteur, médiocre en tout en bon à peu de choses, indolent
et paresseux. Il était le contraire du modèle des enfants que voulait le
Maréchal Pétain. Il n'aimait ni l'effort ni le dépassement de soi. Il était
fait pour vivre libre, sans référence, sans comparaison, sans obligation et
sans contrainte. Lui qui rêvait d'un monde sans école, sans louveteau, sans
gymnastique se trouvait embrigadé à contre coeur dans des groupes qui
marchaient au pas, au pas scout des meutes de louveteaux, au pas cadencé des
défilés scolaires qui allaient au lever des couleurs en chantant: "
Maréchal, nous voilà", au pas lent des enfants de choeur qui précédaient
les processions et les enterrements.



Il
n'aimait pas les jeux de billes où il se savait perdant, il n'aimait pas les
jeux de force car il détestait les coups, ni ceux qu'il devait donner, encore
moins ceux qu'il pouvait recevoir. Il n'aimait pas les compositions mensuelles
qui débouchaient sur des classements qui le rejetaient dans la classe des
perdants.



Il
n'aimait finalement que le premier jour des vacances qui le libérait enfin d'un
vie dont le succès était réservé à d'autres et où il passait de la contrainte à
l'inquiétude et de la crainte d'une punition à la souffrance d'une humiliation.



Ce
petit bout d'homme  aurait bien aimé
avoir sa part de succès et d'estime. Il jalousait ceux qui étaient cités en
premier par Monsieur GRESSARD, le directeur de l'école quand il venait
proclamer les résultats des compositions mensuelles.



Il
aurait débordé d'amour, d'imagination et d'ardeur si une maîtresse d'école
avait mis sa main sur ses cheveux blonds et lui avait dit: " Tu es
intelligent... ta tête est un trésor d'où, avec moi tu vas sortir des pierres
précieuses." Il s'était endormi quelques fois en rêvant du baiser d'une
maîtresse d'école. Mais les maîtresses d'école de cette époque n'embrassaient
pas les mauvais élèves. Leurs grandes mains sèches n'étaient modelées que pour
tirer les oreilles, donner des coups de règle ou gifler les cancres.



La
peur coulait dans son café au lait du matin en larmes qui n'émouvait personne.



Quand
ses devoirs n'étaient pas faits ou que ses leçons n'étaient pas apprises, il
courait, plié sous son cartable trop lourd dans l'angoisse de l'interrogation
fatale.



A
l'heure où d'autres enfants cueillaient des fleurs pour la maîtresse, ce petit
bout d'homme espérait follement que la maladie ou la mort de l'institutrice le
libérerait de ses angoisses.



Quand
elle tardait à venir et que le directeur l'air sombre venait annoncer à la
classe une mauvaise grippe ou un deuil, son coeur explosait de joie.



Comme
les petits des loups, il apprit à faire semblant. Il mentit pour se protéger,
pour échapper à la loi des adultes qui lui imposaient des défis impossibles. Il
mentit pour attirer la sympathie ou l'admiration. Il se mentit pour se bâtir un
monde de rêve où il était le premier, habile au maniement des billes ou de la
toupie, capable de rosser les grands qui l'importunaient...



Mais
il mentait comme il respirait, mal et par a coups, de façon désordonnée et
maladroite, en rougissant. Il inventait des histoires rocambolesques et
pathétiques qui le confondaient et ajoutaient encore à sa détresse.



Noyé
dans la détresse et la solitude, perdu au milieu de ces géants insensibles, il
attendait le mot et le geste qui console et rassure. Ils ne vinrent
jamais. 



Il
apprit précocement la haine des forts qui humilient, la rancune  sourde et tenace  contre les maîtres et les écoles. Il traîna
jusqu'à un âge avancé  une révolte
viscérale contre les humiliations que s'autorisent les médiocres.



Il vécut
avec un réel soulagement des événements dramatiques qui auraient pu le
terroriser. Ces affaires de grandes personnes n'étaient que des épisodes
heureux puisqu'elles lui suspendaient le cours des ses angoisses quotidiennes.



Rédigé par Guy Bezzina

Publié dans #La vie à Guelma

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